Citations. Liens entre finalisme et cybernétique

Une très brève introduction à la cybernétique

Pour introduire ce billet, il serait utile de définir précisément ce qu’est la cybernétique, mais c’est une tâche suffisamment complexe pour nécessiter un billet à elle toute seule. On se limitera ici à comprendre que la cybernétique est une discipline qui s’intéresse aux systèmes complexes pourvus de mécanismes de régulation via des échanges d’information.

Un exemple simple de système cybernétique est le thermostat d’une maison : dès qu’une variation de température, par rapport à une valeur normale appelée consigne, est captée, un centre de contrôle informe un système effecteur (les radiateurs ou la climatisation) pour qu‘il déclenche une réponse allant à l’encontre de la perturbation, et ce afin de rétablir la valeur consigne. En biologie, un certain nombre de systèmes peuvent être analysés et compris à travers les concepts de la cybernétique, notamment les régulations physiologiques, telle que la glycémie (le taux de glucose dans le sang, qui chez l’humain est maintenu aux alenours de 1 g/L tout au long de la journée).

En relisant l’exemple du thermostat, on comprend que la propriété d’un système cybernétique est de répondre à une commande précise. On peut dire qu’il est finalisé en vue de réaliser un but (comme le suggèrent les tournures de phrase ci-dessus : « pour que », « afin de »). Ainsi, tout thermostat qui n’atteint plus la valeur consigne programmée devient dysfonctionnel. L’analogie faite avec certains systèmes biologiques laisse alors penser que le finalisme pourrait s’inviter dans les explications concernant leur fonctionnement, à tort ou à raison.

C’est pourquoi je propose ici de lister des citations issues de publications académiques traitant directement de systèmes cybernétiques (souvent à travers le concept de régulation) et qui font un lien avec une potentielle « finalité intrinsèque » de ces systèmes, plus particulièrement dans des contextes biologiques.

Citations

Patricia Schneeberger, didacticienne des SVT, dans le chapitre 6 : « La place des modèles dans l’enseignement du concept de régulation » du livre La régulation en biologie : approche didactique représentation, conceptualisation, modélisation (ed. : G. Rumelhard), INRP, 1994.

Le maintien de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur, l’homéostasie de Cannon, peut être considérée comme la finalité d’un organisme vivant.

Schneeberger, 1994 (p. 144)

Suivi de…

La véritable finalité d’un organisme vivant est “le maintien du degré d’organisation de la matière vivante, malgré et contre la tendance au nivellement, à l’entropie” (Laborit et Weber). Par conséquent le maintien de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur, l’homéostasie, ne serait pas la finalité de l’orgasme mais simplement le moyen de réaliser cette finalité.

Schneeberger, 1994 (p. 146)

Guy Rumelhard, didacticien des SVT, dans le chapitre 2 : « Histoire didactique du concept de régulation en biologie » du livre La régulation en biologie : approche didactique représentation, conceptualisation, modélisation (ed. : G. Rumelhard), INRP, 1994.

Cela signifie [que l’organisme] est constitué de parties dont le fonctionnement n’est pas isolé mais coordonné en vue d’une finalité.

Rumelhard, 1994 (p. 57)

Manel Dhouibi et P. Schneeberger, didacticiens des SVT, dans « Le discours polyphonique des manuels de Biologie en Tunisie : exemple de la régulation de la glycémie » (2020), Éducation et didactique, 14(3), 113-135.

Selon la vision systémique, le diabète par exemple peut être défini comme un dysfonctionnement au niveau du système et un changement de la finalité de ce système qui ne cherche plus à maintenir une constante mais à assurer une certaine diffusion du glucose dans les cellules. » (Dhouib et Schneeberger, 2020)

Dhouibi et Schneeberger, 2020 (p. 117)

Ronan Le Roux, historien des sciences dans « Entre hasard et programme : Monod, Jacob et la cybernétique ». Revue d’histoire des sciences, 73(2), 273‑302.

La cybernétique est une modélisation des réactions « intelligentes » (ou « adaptées ») d’un système à son environnement, c’est-à-dire une modélisation des corrections ou anticipations du système face aux aléas rencontrés durant l’accomplissement de son activité. Un système cybernétique (ou servomécanisme) est doté d’un programme, mais c’est un programme « ouvert », c’est-à-dire réactif aux fluctuations ambiantes, contrairement au programme « aveugle » d’une machine à calculer, qui s’exécute sans tenir compte de ce qui se passe autour d’elle. Wiener illustrait cette distinction en opposant les nouveaux automates « téléologiques » aux mécanismes d’horlogerie des automates classiques.

R. Le Roux, 2020 (p. 277) – Mise en avant des termes rajoutée.

Kay a parlé de « conversion religieuse » : Monod le sceptique, Monod l’incroyant qui rejetait d’abord « comme une mauvaise plaisanterie » les analogies électroniques par lesquelles Jacob cherchait à se figurer le mécanisme de ce qui deviendra l’opéron lactose, Monod, donc, se serait converti tardivement au fonctionnalisme, aux explications téléologiques. Pour Kay, dont la revendication poststructuraliste n’a pas été radicale au point de la dispenser de toute considération épistémologique, la cybernétique aurait eu un impact véritable sur la pensée, et pas juste le lexique, de la biologie moléculaire. Cet impact n’est pas facile à cerner.

R. Le Roux, 2020 (p. 288) – Mise en avant des termes rajoutée.

Ce qui semble le véritable point d’impact de la cybernétique, chez Jacob et surtout chez Monod, ce serait donc la conversion au fonctionnalisme, aux explications téléologiques. Ici, c’est moins le concept d’information qui est concerné, que celui de rétroaction négative, de servomécanisme (les biologistes contemporains parlent généralement de « rétrocontrôle », marque d’appropriation par recodage terminologique, donc d’assimilation).

R. Le Roux, 2020 (p. 289) – Mise en avant des termes rajoutée.

le cas du servomécanisme est privilégié en ce qu’il objective la finalité, la rend observable, analysable, d’où sa portée paradigmatique, légitimante, pour concilier mécanisme inertiel et téléologie dans les modèles cybernétiques : un peu comme Diogène démontrait l’existence du mouvement en marchant, le servomécanisme dissout empiriquement (et non transcendantalement) l’antinomie kantienne du jugement téléologique. C’est cela, sans doute, qui a séduit Monod comme tant d’autres biologistes, au point d’étoffer son épistémologie d’explications et de modélisations fonctionnalistes, mais pas au point de se consacrer spécifiquement à l’étude de rétrocontrôles.

R. Le Roux, 2020 (p. 290) – Mise en avant des termes rajoutée.

« Si l’usine produit, la cellule se reproduit » ; reproduction optimale, ajoutait Jacob, qui détermine la finalité de l’ensemble : « La logique du système de régulation repose sur l’ambition qu’a la bactérie d’en produire deux à moindres frais. » Cette finalité d’ensemble du programme génétique est donc la téléonomie.

R. Le Roux, 2020 (p. 300) – Mise en avant des termes rajoutée.

La téléonomie contient donc les processus cybernétiques, la teleology des rétrocontrôles, comme des cas particuliers. La distinction que faisait Mayr entre « programme fermé » et « programme ouvert » ne recoupe pas exactement celle que faisait Wiener entre les automates classiques (les figurines de la boîte à musique) et les automates contemporains, cybernétiques, capables de corriger leur action : tous les programmes ouverts sont cybernétiques, mais tous les programmes cybernétiques ne sont pas ouverts […]. La distinction à laquelle Wiener accordait beaucoup d’importance (sauf, certes, pour l’hérédité) était pour Mayr « sans grande conséquence » : la téléonomie de l’espèce subordonne les mécanismes téléologiques cybernétiques régulant les organismes.

R. Le Roux, 2020 (pp. 300-301) – Mise en avant des termes rajoutée.

Crédit de l’image mise en avant : FlickR/J Brew CC BY-SA 2.0

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